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Lorsqu’un seul mot devient une petite prédication

«Dieu de miséricorde et de grâce !» Cette expression, qui est pour nous un puissant encouragement, se trouve être un casse-tête pour un traducteur de la Bible. Quelle est exactement la différence de signification entre les mots «miséricorde» et «grâce» ?

Que faire lorsqu’une langue ne connaît pas de termes aussi abstraits? Car la traduction de la Bible nécessite un vocabulaire pour les notions non-figuratives (par exemple, pour les diverses vertus). Pour y remédier, quelles sont les solutions qui s’offrent à un traducteur ? Prenons quelques exemples d’Afrique.

  • La solution la plus simple est d’utiliser un mot emprunté à une autre langue, comme pour la Bible en sango d’Afrique centrale. Nous y trouvons, dans une ancienne version,  le mot français «grâce» en tant que tel. Mais quand un locuteur sango le lit, il n’a aucune idée de sa signification.
  • Une autre possibilité consiste à créer de nouveaux termes à partir du vocabulaire existant. Cependant, ces nouveaux mots doivent d’abord être acceptés par la communauté linguistique et cela représente un inconvénient. Afin de comprendre comment cette alternative fonctionne, prenons un exemple avec le mot «foi» en sango : il y a 60 ans, le mot ma-be a été créé, ce qui littéralement signifie «entendre-cœur». Aujourd’hui, le mot est bien enraciné dans le pays.
  • La troisième possibilité, qui serait aussi la meilleure, est de prendre un terme qui existe déjà dans une autre langue. Mais parfois son sens ne correspond pas parfaitement au terme d’origine. En sissala (Burkina Faso), il existe le mot susu, qui est régulièrement utilisé pour exprimer la «miséricorde» ou la «compassion». Cependant, le mot susu ne signifie pas premièrement «miséricorde», mais indique plutôt la condition d’une personne envers laquelle on fait preuve de miséricorde, c’est-à-dire plutôt «la misère», «le malheur». En outre, il existe un mot qui se rapproche du mot «miséricorde» : susu-fárʋ (littéralement «la course à la misère»).

Comme le montre cet exemple en langue sissala, les termes et expressions pour indiquer la miséricorde peuvent être très imagés.

En Afrique, la miséricorde est souvent traduite par le «bon coeur». Par exemple, «être miséricordieux» en sango signifie «faire de son cœur un très bon cœur pour le peuple». L’expression en ninkare (Burkina Faso) nous est, quant à elle, presque incompréhensible: «il a pitié de moi» signifie littéralement : «il fait courir mon œil faible». Les Ninkare y voient l’idée que l’un regarde l’autre non pas d’un oeil farouche, mais d’un oeil doux, et qu’il se précipite ensuite pour l’aider.

C’est ainsi que l’on découvre qu’un petit sermon peut se cacher dans la signification d’un mot d’une autre langue.

Traduction d’un article apparu dans insist 4/2019.